Africa
June 4, 2022

Interview du Représentant commercial de la Russie au Maroc Artem Tsinamdzgvrishvili à l’un des plus populaires quotidiens marocains l’Opinion.

Интервью Торгпреда РФ в Марокко центральной марроканской газете

03.06.22

Pouvez-vous d’abord nous présenter un bilan chiffré des échanges commerciaux entre le Maroc et la Russie ?

- Le Royaume du Maroc reste le troisième partenaire commercial de la Fédération de Russie parmi les pays du continent africain après l’Égypte et l’Algérie. Le volume des échanges bilatéraux entre la Russie et le Maroc a augmenté en 2021 de 42,3% par rapport à 2020 et a atteint 1,6 milliard de dollars. Les exportations russes au Maroc continuent d’augmenter et ont la dynamique positive. L’année dernière, elles ont atteint un record d’augmentation à 58,5%, dépassant 1,2 milliard de dollars. C’est le meilleur indicateur pour la Russie parmi tous les pays africains. Les importations marocaines ont également assisté à la croissance.

- Et pour l’exercice 2021 ?

- Au cours de l’année dernière, ils ont augmenté de 10,8%, atteignant 435 millions de dollars. Cette année, le commerce mutuel maintient la même dynamique. Principalement en raison de l’augmentation de l’approvisionnement en produits carnés russes, de l’ammoniac, du charbon, ainsi que du début d’exportation de produits semi-finis russes en fer et en acier non allié. Les importations en provenance du Maroc ont également augmenté de 10,8%, principalement en raison de la croissance des exportations d’agrumes marocains. En général, le chiffre d’affaires russo-marocain au premier trimestre 2022 a augmenté de près de 40,3%.

- Quels moyens se présentent pour maintenir cette tendance haussière ?

- Il faut toujours chercher de nouveaux moyens et domaines de coopération. Dans cette optique, pour la première fois, les produits semi-finis en fer et en acier étaient exportés vers le Maroc l’année dernière.

- En plus du recours au troc, quelles sont les mesures prises par votre gouvernement face à l’exclusion de la Russie du système SWIFT ?

- Dans la situation mondiale actuelle, avec l’aide du ministère de l’Industrie et du Commerce, le ministère des Transports de la Russie et les partenaires marocains, nous essayons activement de trouver des moyens de surmonter les difficultés qui existent. Comme solutions, je vois l’implication de banques russes qui ne sont pas sanctionnées et la seconde c’est à commencer à effectuer des paiements en monnaies nationales (Rouble - Dirham). D’ailleurs, la Banque Centrale de Russie et Bank Al-Maghrib ont déjà signé en 2021 un mémorandum d’accord qui crée, en termes généraux, la base de ce type de règlement mutuel. En même temps, on n’exclut pas la possibilité d’utilisation d’un mécanisme de troc pour les règlements mutuels. Dans ce cas, les agrumes, les tomates, le poisson congelé et les fruits de mer, les phosphates, et un certain nombre d’autres produits marocains peuvent être utilisés comme paiement pour les produits russe importés au Maroc.

- Concrètement, comment allez-vous quantifier ?

- Cette question est en cours de négociation. Les ministères des Affaires étrangères discutent les possibilités d’utilisation du troc. Nous sommes près de la solution mais en même temps encore loin. Il faut d’abord nommer des sociétés ou agents pour coordonner.

- En attendant, à court terme, comment nos importateurs et exportateurs peuvent-ils garantir les livraisons et leurs paiements?

- Pour le moment, il n’y a pas de troc. Mais il y a pas mal de sociétés des deux côtés qui ont agréé le paiement en utilisant les monnaies nationales et les banques qui ne sont pas sanctionnées. Les premiers résultats de ce processus sont là. Les exportations sont faites et les paiements sont garantis. Il y a déjà pas mal de sociétés russes et marocaines partenaires qui utilisent les devises d’autres pays, je pense notamment à la Chine, comme base pour le paiement dans le commerce mutuel.

- Quelles sont les mesures prises par le gouvernement russe pour assurer l’approvisionnement en céréales au Maroc ?

- La Russie a toujours été l’un des leaders en termes d’approvisionnement en céréales au Maroc. En même temps, notre pays a toujours été considéré comme un fournisseur fiable et a toujours rempli ses obligations à l’exportation. Malgré toutes les difficultés, nous avons l’intention de continuer à le faire de la même manière à l’avenir. Dans ce cadre, le Ministère de l'agriculture de la Fédération de Russie a envoyé récemment sa représentante au Royaume du Maroc, Ksenia Bakareva, pour améliorer le commerce agricole bilatéral entre les deux pays, qui est particulièrement importante aujourd'hui en période de sécheresse et insécurité alimentaire mondiale. Elle est responsable de tous les produits d'origine russe présents sur le marché marocain, notamment les céréales. Pour le moment, il n’y a pas d’interdiction sur la fourniture de céréales au Maroc de la part de la Russie. Au contraire, les exportateurs russes de céréales sont déjà prêts pour l’approvisionnement.

Une fois que nous aurons résolu les difficultés logistiques et financières, les premiers navires russes à céréales arriveront dans les ports marocains. Nous avons déjà élaboré un système de livraison directe de marchandises russes au Maroc par les sociétés de transport russes, et les premiers navires, par exemple avec les engrais et les autres produits, vont arriver au Royaume sous peu.

- Quels ports marocains sont ciblés ?

- Les ports les plus intéressants pour la Russie sont ceux de Tanger, Casablanca, Jorf Lasfar. On discute avec nos partenaires marocains la possibilité d’utiliser le port d’Agadir pour le traitement de poisson et pour l’exportation vers la Russie, dont les agrumes.

- Les moyens nécessaires se présentent-ils pour y arriver ?

- On a déjà trouvé des sociétés de logistique 100% russes qui sont prêtes à livrer directement les marchandises russes vers le Maroc. Actuellement, nous cherchons avec des partenaires marocains des produits, dont ceux cités précédemment, à exporter vers la Russie au moment du retour des navires.

- Quelle est la vision stratégique de la Russie pour utiliser le Maroc comme plateforme vers l’Afrique et l’Amérique latine ?

- Les crises créent toujours des opportunités. Les sanctions antirusses illégales ouvrent en même temps de nouvelles opportunités non seulement pour la Russie, mais aussi pour ses amis, auxquels appartient sans aucun doute le Royaume du Maroc. Nous avons toujours vu une telle opportunité et certains exportateurs russes en ont déjà profité. Nous considérons toujours le Maroc comme la porte d’entrée du continent africain, notamment de l’Afrique de l’Ouest.

La position géographique avantageuse du Royaume ainsi que les liaisons économiques et commerciales avec de nombreux pays d’Afrique et d’Amérique latine lui permettent de devenir une plateforme importante pour la Russie dans les nouvelles conditions géopolitiques. Nous travaillons déjà dans ce sens, notamment avec les fabricants russes de bitume et de voitures.

- L’exemple de l’automobile est évidemment présent. Quelles sont les chances de booster les échanges commerciaux dans ce secteur ?

- La coopération dans le secteur de l’automobile est déjà établie. On ne parle pas uniquement de fourniture des automobiles russes ici mais aussi de l’assemblage de voitures. Il y a des sociétés russes, à l’instar du constructeur GAZ, qui a déjà commencé à commercialiser la gamme GAZelle sur le marché marocain. Au niveau de l’assemblage, il y a des partenaires fiables marocains qui travaillent avec des sociétés russes. Dans les conditions actuelles, ce volet devient plus important et prometteur.

- Des investisseurs russes ont affiché leur désir d’investir dans le projet du gazoduc Nigeria-Maroc. Quel commentaire en faites-vous ?

- La Russie a toujours été forte dans le domaine énergétique, notamment dans le lancement et la gestion de projets énergétiques. Il y a des compétences hautement qualifiées dans ce domaine. De grandes sociétés russes, des leaders mondiaux, ont effectivement affiché leur intérêt pour le projet du gazoduc Nigeria-Maroc. Pour le moment, nos gouvernements discutent déjà avec des sociétés présentes dans les pays engagés dans ce projet.

- Qu’est-ce que le Maroc a à offrir à Moscou ?

- Pour le moment, les exportations du Maroc semblent de plus en plus prometteuses et intéressantes pour la Russie. Traditionnellement, ce sont des produits agricoles – les fruits et les légumes. Du coup, le Maroc exporte aussi vers la Russie des produits de l’industrie textile.

Par exemple, l’année dernière les importations d’agrumes ont augmenté à 33%. Pour des vêtements et des chaussures marocains, le chiffre est monté vers 23%. Compte tenu de la conjoncture et des tendances actuelles, je peux prévoir une augmentation de la demande russe pour les marchandises à valeur ajoutée, produits au Maroc, notamment dans les domaines énergétique et automobile. Je suis sûr que le commerce bilatéral russo-marocain a de très bonnes perspectives et nous sommes toujours prêts à travailler pour l’améliorer.

- Quelles sont les ambitions de la Russie pour s’étendre au niveau continental ?

- Le Maroc peut devenir un hub important pour la Russie sur le continent africain. Comme la Russie, qui peut devenir un hub intéressant pour le Maroc au niveau de l’Europe orientale et de l’Asie. Il y a pas mal de sociétés russes qui travaillent déjà dans ce sens, en recourant à des partenaires marocains qui sont présents en Afrique depuis des années. Une fois qu’une société russe travaille avec des partenaires marocains, toutes les possibilités se présentent pour aller ensemble vers l’Afrique.

Outre les produits agroalimentaires, les domaines de coopération s’étendent actuellement vers les marchandises à valeur ajoutée, tels que les vaccins vétérinaires exportés vers les pays africains par les producteurs russes avec leurs partenaires marocains.